It is well known, Bluesmen has only annoy.

Central Park. A croire que toute la verdure de la ville s'était concentrée en un même point : ici. C'est sûr que ça n'avait rien à voir avec le Michigan, et Detroit. Bon d'accord, à Detroit on avait le lac pas loin, et de la verdure aussi, mais pas aussi concentrée... Tellement grand que si on voulait si perdre, on n'avait même pas besoin de réfléchir, pareil pour se planquer. Il y avait toujours du monde aussi, à n'importe quelle heure. Pour l'instant, à l'instar de sans doute dizaines d'autres personnes, j'étais tranquillement calé contre un arbre, mon sac dit de cours en guise de dossier, l'étui de ma Gibson à côté de moi, la guitare dans mes mains.

Je grattais les cordes, un peu au hasard, créant plus ou moins une mélodie à l'image des gens de N-Y. Pressée, oppressée, violente, dangereuse, droguée... En y infiltrant quelque chose de plus personnel. Cela pouvait paraitre discordant. Ça l'était sans doute, tout comme cette ville. Detroit était peut-être un melting-pot, mais N-Y l'était encore plus. Certains promeneurs m'observaient bizarrement. Je leur adressais un grand sourire. Ils devaient me prendre pour un fou, ce qui me donnait une forte envie de rire. Au bout d'un moment, j'arrêtais de joue et posai ma guitare sur l'étui. Je me roulais une cigarette. J'avais "promis" à Tristan de me calmer un peu... Surtout pour qu'il évite de m'envoyer à grand renfort de coups de pied au derrière dans un de ces stupides centres de réinsertion, où on vous prend pour des gros demeurés dépendants à toute sorte de saloperies. Je ricanais intérieurement. Je n'étais pas un de ces idiots incapables de s'arrêter. Je savais où j'allais, je connaissais mes limites... Mais ça, mon frère ne voulait pas l'entendre.

Il n'y avait plus un seul bruit en dehors de ceux qui étaient habituels. Pas un péquenaud dans mon genre qui jouait de la musique. Une fois ma clope fini, je repris ma guitare pour jouer. Cette fois, je repris certaines chansons, toujours en observant les gens passant. Un gars attira mon attention. Plutôt pas mal, même si il suintait l'arrogance et le fric à plein nez. Ulysse aurait sans doute dit une phrase genre "un trou reste un trou" avec toutes les connotations possibles. Je le regardais approcher, feignant continuer à jouer sans prêter attention à ce qui m'entourait.

James l'avait remarqué dès qu'il eut dépassé les grilles qui donnaient sur le MET. Une belle gueule qui fait mal quand on y repense. Un vieux souvenir de quelques semaines qu'il aurait préféré enterrer dans une boite, jetée au fond d'un trou couvert de plomb. Hélas, il n'en avait pas été capable.

Son nouveau règne allait débuter, dictature pour certains, Age d'or pour d'autres. Il devait désormais se montrer clément avec la pourriture de Park Avenue, écraser les nouveaux riches en puissance, délivrer des sauf-conduits aux drogués, détruire socialement les adorateurs des Rolling Stones et honorer de sa présence la jeunesse qui demain dirigerait l'Amérique. Il ne comprit pas pourquoi mais son esprit fut obnubilé par une pouffiasse manucurée venant directement d'Hollywood Boulevard. Sa gorge se mit à le brûler, et un horrible goût de vodka coula contre sa langue. "Refouler la Côte Ouest vers l'Alaska", nota t il.

Il s'approcha du mauvais garçon, tout en se rappelant leur rencontre. Il sortait d'un dîner chez le Consul du Danemark, une soirée amusante où Sarah Jessica Parker avait déclarée s'être fait refaire les seins et où Mr Vanderbilt en personne lui avait serré la main et l'avait enjoint à rejoindre les Skull and Bones à Yale. James avait sourit, poliment, on ne choque pas ni ne déçoit, Vanderbilt. Ses parents l'avaient oublié au pied de l'immeuble. Sa mère s'en était excusé une semaine après, de toute manière il y était habitué. Une fois sortit du monde clôt des dîners mondains, il n'existait plus à leurs yeux. Il avait marché, tout le long de Madison, et avait trouvé un bar ouvert. Un truc miteux à ses yeux, bien sûr, mais empreint d'une atmosphère un peu New Orleans. Il avait pensé à Duke Ellington, à Ella Fitzgerald, et à ce que lui racontait son père, quand il était petit. Qu'il allait les écouter, vers la fin de leurs carrières, quand ils passaient à New York, à l'insu de son propre père. C'était là encore une souvenir poignant, quelque chose de trop sensible pour être considéré comme un souvenir malléable : les rares moments d'intimité avec son paternel.

Maso, James ? Certainement. Parce qu'il s'était assis, et avait picolé, comme d'habitude. Et là, il y avait ce mec, qui grattait sa guitare, avec agilité et douceur, mais dans son regard une ferveur quasi religieuse pour la musique. Il lui avait plût dès le début. Il était mignon, il semblait sympathique. Les détails, eux même, ne choquaient pas. Un T-shirt qu'Alexander Macqueen n'avait pas dessiné, une coiffure trop broussailleuse pour être d'ici, et une féminité qui, étrangement, collait parfaitement au lieu. Là bas, on ne faisait attention à rien d'autre qu'à son verre et à la musique.

Alors qu'il faisait une pose, James l'avait abordé. Il fumait des roulées et il lui en avait taxé une. Une latte plus tard, elle se consumait sur le bitume, dans le brouhaha des klaxons énervés et l'odeur de pot d'échappement. Manhattan était de retour. Leur nuit, ils l'avaient finis ensemble. Chez lui.

Ce fut très bien, James avait apprécié. Néanmoins il avait regretté. Il s'appelait Alistair, il était à Saint Jude, son frère avait fait des affaires il ne savait trop comment, et désormais il représentait une menace au pouvoir royal.

Sourire feint, hypocrite et affirmé, James le salua :

Ravi de te revoir Alistair. Surtout de te revoir en train de jouer.

Lorsque le gars se rapprocha, je le reconnus à son allure. C'était l'un de ces Aristos prétentieux. James Hector Buchanan. On s'était rencontré dans un bar, le genre "New Orleans", où on allait lorsqu'on voulait écouter un peu de musique, et boire, bien entendu. Le proprio était l'une des relations de mon frère, du coup j'avais été embauché pour la soirée. Il voulait voir ce que je valais, Tristan voulait que je gagne moi-même mon fric. J'avais donc plus ou moins accepté de force. C'était comme ça que je m'étais retrouvé dans un bar, avec ma fidèle Gibson. J'étais plutôt dans mon élément, alors j''avais joué, tranquille, sans prêter attention à ceux qui allaient et venaient. Pourtant je l'avais remarqué quand il était entré. Tout sauf en phase avec le milieu. Il différait des autres, parce qu'il venait de la haute, ici, c'était des gens "normaux". Que faisait-il ici ? Bonne question.

Lorsque j'avais fait une pause, histoire d'en fumer une, il m'avait rejoint dehors dans la vie furieuse de la ville. Il m'avait taxé, mais j'étais pas à une clope près. Je pouvais arrêter quand je voulais. On avait fini la nuit ensemble. Une de ces nuits comme tant d'autres. Je n'avais rien à regretter. Ouais, je m'étais fait un aristo. Un type comme un autre en fait.

Je lui rendis son sourire, légèrement moqueur.

James. Quelle surprise.

Pas vraiment en fait. Tout le monde venait trainer à Central Park, après tout qui n'aimait l'illusion d'espace vert non pollué que pouvait offrir le parc ? Je plaquais encore quelques accords, savourant le simple plaisir de laisser mes doigts courir sur les cordes, se placer presque d'eux-même sur les frètes. Laissant planer un petit silence entre mon interlocuteur et moi. Puis une fois les dernières notes évanouies dans l'air, je reposai la Gibson. Et observai James. Je failli laisser un sourire de suffisance prendre place sur mon visage. Je ne comprenais pas vraiment comment il pouvait se sentir menacé par moi, mais ça me donnait envie de rire. Je sortis mon paquet de tabac et commençai à m'en rouler une, même si je venais de m'en fumer une quelques minutes auparavant.

Tu fumes toujours des roulées ?

Ce qui lui rappellerait sans doute une certaines soirée. D'accord c'était petit et mesquin, mais c'était tellement amusant... Je posais le paquet à côté de la guitare et me recalais confortablement contre l'arbre et allumais ma clope. Je tirais une latte et soufflai la fumée en un petit nuage bleuté. J'avais envie de jouer, c'était presque compulsif. Je fixais donc James, tout en faisant claquer le capuchon de mon briquet.

*Je lance la partie, James, les cartes sont distribuées, à toi de voir si tu prends la main ou si tu te couches.*

S'il choisissait la seconde solution, ce serait décevant. Oh, oui, j'espérai qu'il entrerai dans le jeu.

Tu fumes toujours des roulées ?

James fronça les sourcils. C'était subtil, et élégant, chose qui le surprenait chez les égoutiers. Leur capacité à maîtriser la langue du peuple et de la civilisation. Toutes leurs subtilités, les manies, jouer sur les rivalités des mots pour en sortir... quelque chose de beau. L'art était en tout point désolant, et pourtant excitant. Il mettrais dès ce soir la Visitation de la Vierge de Fra Angelico hors de sa chambre. La tentation était forte. Alistaire était mignon, accessible, pas prise de gueule, et faisait bien l'amour. C'était là, enfin, la charnière, le choix. Décider si il était prêt à mener une vie stricte, celle qu'il voulait en réalité, mais l'assumer, sans écart de conduite, sans bière pisseuse dans un bar miteux et sans mec à Gibson. Il réfléchit un instant, pourquoi résister, qui le saurait de toute manière ? Kane ? Billy ? Surtout pas Kayla.

Kayla, c'était autre chose. Elle l'attirait, lui plaisait. Elle était intelligente et belle. Il devait commencer à l'apprécier, peut être même à l'aimer, voir à la considérer comme plutôt pure. Intouchable. Le bal était pour bientôt. Il savait qu'il avait besoin d'elle non seulement pour les établir comme roi et reine, mais aussi parce qu'il savait que la soirée serait merdique sans elle.

Et pourtant Alistaire l'attirait. Son petit air mesquin, sur de lui. Comme une bourgeoise qui aime son mari mais qui ne peut s'empêcher de baiser avec des ouvriers, et d'aimer ça.

Il sortit une cigarette et l'alluma.

Comme tu peux le voir, je me suis remis aux blondes.

Il fallait lutter, contre cette envie irrépressible, ne pas céder à ses désirs. Seuls les besoins comptait. Ne pas blesser Kayla, alors qu'il débutait, en douceur, discrètement, quelque chose qui lui plaisait avec elle, un jeu aussi subtil que celui qu'il jouait avec Alistaire. Mais aux conséquences cent fois plus importantes.

Il jeta un coup d'œil à sa guitare, il aurait bien aimé l'écouter jouer. Mais il devait virer ce foutu tableau... Plus de tableaux de maîtres dans sa chambre. Plus aucun.

Le 1009, sur la 5ème. A 19h. Mon père est à Dubaï et ma Mère chez sa sœur à Boston. Ca te dis ?

"Pourquoi j'ai dis ça, je suis trop con", pensa t il.

Il sortit un paquet et prit une clope. Un point de vue extérieur n'aurait vu que deux jeunes hommes qui semblaient discuter en s'en grillant une. Une scène banale de la vie quotidienne, somme toute.

Clic. Clac.
Je voyais bien qu'il essayait de faire un choix. Après tout, il avait peut-être quelqu'un qui l'attendait quelque part... Une chanson s'imposa à mon esprit, surtout le refrain. "Did you stand by me ?" M'étais-tu fidèle ? Y avait-il quelque part, une personne qui se posait cette question ? Ça m'était bien égal. Je me foutais bien des sentiments, ils offraient une prise sur nous, semblable à une cible.

Clic. Clac.
Cèderas-tu à une pulsion, petit prince ?

Clic. Clac.
Je remarquais son regard sur ma guitare. Ma fidèle Gibson L-5, le vernis à peine plus terne que quand je l'avais reçue. Ma plus grande alliée. Mon arme la plus efficace. Une mélodie se créait petit à petit dans ma tête, enfin, plutôt des idées, des enchainements. Tout comme New York m'avait inspiré, c'était maintenant la personne en face de moi qui me donnait envie démangeante de gratter ces foutus cordes. J'imaginais bien le morceau fait de riffs impétueux, d'accords vibrants, de tonalités fortes, mais aussi de sons subtils... Faut que j'arrête de délirer là. Si je m'amusais à imaginer un morceau pour chaque personne que je connaissais, ce ne serait que cacophonie.

Clic.
Le 1009, sur la 5ème. A 19h. Mon père est à Dubaï et ma Mère chez sa sœur à Boston. Ca te dis ?
Clac.

La partie pouvait donc commencer. Maintenant, il restait à savoir qui aurait la meilleure carte. Le jeu promettait d'être passionnant.

A 19h, donc. Je serais ponctuel. Un souhait particulier ?

C'était une petite victoire pour moi. J'avais réussi à le faire céder, sans faire grand chose, en vérité, pourtant, je lui laissais les rênes. Pour le moment. Qu'il ne songe pas même un infime instant que je puisse faire ce qu'il voulait. Ça non. Alistair n'est pas de ceux qui se font mener.

A 19h, donc. Je serais ponctuel. Un souhait particulier ?

Il avait envie d'annuler, de dire "non, ne soit pas plus stupide que moi, tu sais très bien ce que cela va donner. C'est se faire du bien, et c'est obligatoirement mal". Aucun courage. James se détestait, il s'avilissait aux plus basses et démoniaques tendances.

Non définitivement la vierge d'Angelico ne pouvait rester dans sa chambre. Il avait envie de boire. Il avait passé, enfin !, un jour sans picoler, sans en ressentir l'envie, et désormais, tout tombait à l'eau. Il s'imagina un verre de whisky... Il s'imagina le boire lentement devant Alistaire en train de se dénuder.

De la discrétion, uniquement.

James tourna les talons et jeta sa cigarette à peine allumée. Elle se consumerait seule, lui même était déjà foutu de toute manière...

Il marcha, tout le long de la 5ème Avenue, dépassa le MET et vit sa maison...

Et hélas deux limousines garées devant. C'était quoi ce bordel ? Il devait avoir le manoir pour lui seul... Il s'approcha, de plus en plus inquiet... Si ses parents étaient là, ils ne l'auraient pas prévenus. Il s'agissait bien là des deux personnes qui lui étaient le plus proche, et il passaient pour être un inconnu à leurs yeux. Mr Buchanan n'était après tout qu'un portefeuille ambulant, et Mrs Buchanan, une conseillère en image et communication...

Il arriva à la hauteur des limousines où trois porteurs sortaient une à une des valises Hermes et Vuitton. Il avisa la griffe du propriétaire...

"MEBV"

- Ho non, je vous en supplie Seigneur. Pas ça.